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The love behind my eyes

  • Danse

Le 17.11.2021 à 19hFriche la Belle de Mai, Marseille

Ali Chahrour

En Pratique

  • Friche la Belle de Mai, Marseille

Grand Plateau

Durée : 50 min

Chorégraphie & direction Ali Chahrour
Interprètes Leila Chahrour, Ali Chahrour and Chadi Aoun
Musique Abed Kobeissy
Vidéo Salim Morad
Lumières Guillaume Tesson
Photos Pôle Seif, Guillaume Tesson
Co Production Kuntfest Weimar
Culture Ressource
Les Rencontres à l’échelle - B/P
Hammana Artist House
Houna Center
Art Jameel

Présentation

The love behind my eyes, dernier volet du triptyque Love du chorégraphe et danseur Ali Chahrour, est le poème d’amour, le Ghazal, à la fois noir et intensément lumineux, où les corps se font, se défont, se refont et se défont dans un crépuscule d’été. La pièce a des échos et des reflets : la passion sans issue, les amours interdites et le chant sacré Wa Habibi. Ils sont comme un lacet qui relie le corps-fiction au réel, aux terres du Liban menacées par l’oubli.

The Love behind my eyes est le troisième volet du triptyque Love. Comment s’inscrit-il dans le triptyque ?
Forcément, la pièce The Love behind my eyes est atypique. En 2020, sur le plateau, comme dans nos vies, nous étions effectivement « suspendus », nous demandant quand est-ce que nous pourrions reprendre le processus de création de Told by my mother. Et ce qu’il pourrait advenir d’encore plus terrible dans la pesanteur inquiétante et confuse de Beyrouth. The Love behind my eyes est le contraire d’une fuite du réel, c’est un élan vital, transcendé par une amitié - entre moi et Chadi Aoun -, comme un irrésistible appel en ces temps incertains de distance sanitaire. Elle résonne depuis l’intérieur de la mémoire collective arabe. Elle remue depuis l’histoire d’amour envoutante et terrible de Mohamed Bin Daoud et Mohamed Bin Jamea, mêlant l’amour, la mort et la poésie. Ils coulent à la surface du récit pour mieux revenir en images scéniques, où on y entend des questions sociétales et religieuses, actuelles.

Les corps s’offrent entiers ici avec une extrême douceur aux différentes formes d’amour – des plus sacrées aux plus interdites. Les deux corps collés l’un contre l’autre ou défaits produisent des images dans lesquelles se déplient d’autres images.
C’est précisément par les images, par leur dépliement dans l’espace, que nous entrons dans le mouvement chorégraphique. The Love behind my eyes, c’est comme un rêve éveillé à la fois noir, mélancolique et très intensément lumineux, qui se dissipe et s’enroule dans la réalité ordinaire. Cette sensation qui n’en finit pas, est pour moi essentielle. On la reconnait dans la relation amoureuse mélancolique : deux personnes sont toujours intensément amoureuses mais l’ombre de la déchirure, violente et pleine de compassion, colore déjà leur amour. Si je devais choisir une image métaphorique, ce serait celle-ci : deux amants ou deux personnes qui s’aiment intensément, tombent d’un grand immeuble. Dans leur chute, elles tentent de se porter pour éviter de se fracasser sur le bitume. Un autre élément fondamental vient de la tension qui existe entre le sacré et l’interdit ; tension qui attise le désir. Et qui rappelle l’amour frappé d’interdit de Mohamed Bin Daoud et Mohamed Bin Jamea. Comment la religion qui prône l’amour – « Dieu est amour », « Dieu est bonté » – peut-elle interdire et prôner le châtiment ? Si le message de la religion est l’amour, pourquoi sa réponse est-elle la mort ?

Comment avez-vous travaillé avec Chadi Aoun ?
Nous sommes amis et voisins à Beyrouth. Si nous nous sommes rapprochés dans le travail, c’est sans doute parce que nous étions tous les deux en quête de poésie et de beauté dans les rues dépeuplées de la ville où les règles de distanciation sociale rendaient tout rassemblement suspect. Je me souviens : nous avons débuté le travail le 3 août 2020. Le lendemain, le 4 août 2020, une gigantesque explosion du port de Beyrouth dévastait la ville. Plutôt que de sombrer dans le désespoir, nous avons tenu bon. Ce qui est intéressant dans notre rencontre, c’est que nous avons une approche de la danse très différente. Le geste simple a toujours été au centre de mon travail chorégraphique, et les histoires complexes sont au centre de ce geste simple. Les mondes corporel, local, social, culturel sont reliés entre eux et font partie d’un environnement unique auxquels mon corps du danseur donne une signification, incarnant le territoire où les relations entre le politique et le religieux pèsent de tout leur poids dans mon quotidien et la région du monde dans laquelle je vis. Tandis que le geste de Chadi Aoun, marqué par la danse classique, est peut-être plus sophistiqué que le mien. J’ai beaucoup appris de nos différences. Elles rendent notre geste chorégraphique plus authentique. Nos corps sont libres, ils font confiance à ce qu’ils dessinent : la vie, les expériences, les géographies d’où ils viennent. Et surtout, ils font confiance à ce qu’ils deviennent.

Leila Chahrour y entonne la chanson Wa Habibi (en français « Oh mon amour ») des chrétiens d’Orient. Sa voix est comme un lacet qui relie les chairs, les peaux, la lumière. Pouvez-vous nous dire quelques mots à ce sujet ?
Leila Chahrour est la cousine de mon père. Elle n’est pas une artiste professionnelle. Face à elle, l’émotion qu’on éprouve est très forte et très différente. C’est la vie et elle seulement qui l’envoie sur le plateau. Sa voix est reliée au langage du souvenir, à quelque chose qui vient de loin. Elle raconte son histoire la plus personnelle : ses peines, ses pertes. Il y a là quelque chose de la vérité intime. C’est magnifique. L’image qui nous émeut avec force, c’est celle de la mère qui en chantant « sanctifie » l’amour interdit par la religion. L’amant blessé se blottit contre le sein de sa mère.

The Love behind my eyes est une sorte de ritournelle des ruines… avec des images comme des inserts qu’on imagine : les maisons détruites, le chantier, la détresse, le cri. Le corps fiction mène au réel. Et au Liban menacé par l’oubli.
C’est toute la beauté de la danse. Sans qu’on y prête attention, elle emporte et transforme quelque chose qui est affecté par le temps, la réalité et auxquels elle doit sa forme. Ici, malgré nous, elle charrie le souffle de l’explosion, les maisons détruites, les cris. C’était horrible. C’est inimaginable. Au discours politique, je préfère la puissance des histoires d’amour et le regard de l’amoureux, lucide et acéré. Je fais confiance à l’art et à la culture, et à ce qu’ils font advenir. Elle est là notre plus grande force.

Propos recueillis par Sylvia Botella
Traduit de l’arabe (Liban) par Chadi Aoun