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Et le coeur fume encore

  • Théâtre

Les 23 et 24.11.2021La Criée Théâtre National de Marseille, Marseille

Margaux Eskenazi

En Pratique

  • La Criée Théâtre National de Marseille, Marseille
  • La Criée Théâtre National de Marseille, Marseille

Durée : 2H05

Mise en scène Margaux Eskenazi
Conception montage et écriture Alice Carré & Margaux Eskenazi
avec des extraits de Kateb Yacine, Assia Djebar, Edouard Glissant, Jérôme Lindon
Collaboration artistique Alice Carré
Lumières Mariam Rency
Espace Julie Bollot-Savarin
Création sonore Jonathan Martin
Vidéo Jonathan Martin et Mariam Rency
Costumes Sarah Lazaro
Avec Armelle Abibou, Loup Balthazar, Salif Cisse, Malek Lamraoui, Yannick Morzelle, Raphael Naasz et Eva Rami
Avec les voix de Paul Max Morin, Nour Eddine Maâmar et Eric Herson-Macarel
Régie générale et lumière Marine Flores
Responsable de la production Emilie Ghafoorian
Production La compagnie Nova et FAB - Fabriqué à Belleville
Diffusion Label Saison - Gwenaëlle Leyssieux

Avec le soutien de Conseil Régional d’Ile-de-France, de la ville des Lilas, du Conseil départemental du 93, de Lilas-en-scène, de la Ferme Godier (dans le cadre de la résidence action et territoire de la DRAC Ile-de-France), du Studio Théâtre de Stains, du Collectif12, du Centre du Culturel de La Norville, d’Arcadi, de la Région Ile-de-France et de la Grange Dîmière à fresnes,de la fondation E.C Art Pomaret, de la SPEDIDAM, et de la fondation d’entreprise Vinci pour la cité.

Dans le cadre de la Semaine culturelle méditerranéenne

Présentation

Après Nous sommes ceux qui disent non à l’ombre (2016), la pièce Et le cœur fume encore déroule le fil intranquille d’une mémoire française, celle de la guerre d’Algérie qui se heurte encore à une vive douleur. Là, rien n’est tranché pour ces jeunes artistes si ce n’est la nécessité de réarticuler le témoignage intime, l’archive documentaire et la parole du poète. Là, les paroles enfin s’échangent. Là, dire c’est présentement réparer les vivants.

Comment Et le cœur qui fume s’inscrit-il dans le diptyque  Écrire en pays dominé ?
Le volet 1 du diptyque Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre est une traversée qui nous mène de la négritude à la créolité, et convoque leurs poètes, de Léopold Sédar Sanghor à Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas jusqu’à Edouard Glissant. Dans Et le cœur qui fume, nous approfondissons notre recherche sur les poétiques de la colonisation, les amnésies coloniales. Elle fraye ouvertement avec le poésie de Kateb Yacine. De Césaire à Kateb, c’est une même conception de la poétique qui se dessine, définie par la langue française comme arme de guerre. Pour Césaire, parler le français mieux que les Blancs est un véritable geste de radicalité, de libération et d’égalité. Quant à Kateb, son père lui dit en substance : « tu vas entrer dans la gueule du loup, tu vas entrer à l’école française, tu vas parler français, tu vas écrire en français ». Et c’est effectivement ce que Kateb fait : il écrit en français. En tout cas, la première partie de sa vie et durant la guerre d’indépendance. Ici, au rapport à la langue française répond un autre rapport, plus nerveux, plus complexe, celui du rapport du dominé à la langue du dominant : le dominé prend la langue du dominant pour écrire ses poèmes, et laisse véritablement advenir l’inversion d’un rapport de force. La langue du dominant entre dans une lutte décoloniale.

Et le cœur qui fume ouvre un imaginaire poélitique sur la Guerre d’Algérie. Comment transmettre cette histoire malgré le passage du temps ? Comment réactivez-vous un évènement historique aussi cabossé par l’oubli, l’érosion de la mémoire et les blessures intimes ?
Nous ne cherchons pas à combler les blancs de la mémoire. Nous cherchons à faire théâtre des amnésies, des oublis et du silence. Nous ne cherchons pas à mettre des mots alors qu’il n’y a pas eu de mots. Nous cherchons seulement à montrer le caractère tragique de l’absence de transmission. Notre matériau premier, ce sont les entretiens. En définitive, dans mes spectacles se dénoue quelque chose entre le document et la fiction, et se noue quelque chose dans la plurivocité narrative, dans les histoires emboitées. Chaque histoire est saisie par une autre histoire. L’histoire de la Guerre d’Algérie est saisie par l’histoire des harkis qui elle-même est saisie par l’histoire de l’OAS qui elle-même est saisie par l’histoire du FLN. Autre élément fondamental, toutes les personnes du projet sont reliées à la Guerre d’Algérie. Dans la compagnie, comme sur le plateau, nous travaillons à décoloniser les imaginaires. Ce qui signifie que les acteur.trices racisé.es jouent des rôles non racisé.es, que les hommes jouent des femmes. Et inversement. Peu importe. Notre ambition est simple : nous faisons de la partition théâtrale une partition commune.

Vous y questionnez notre rapport à la vérité, à la mémoire. Y-a-t-il des limites à la fiction historique ? Ou dit autrement à la manière dont le théâtre peut repeupler l’histoire ?
La mémoire, ce n’est pas LA vérité, c’est une vérité. Elle est celle de celui qui l’a dit. Il y a donc plusieurs vérités. Et le cœur qui fume est en ce sens un kaléidoscope de vérités. Je me méfie de la figure du personnage qui, en nous faisant basculer dans l’illusion, nous éloigne du réel et de sa complexité, au risque de le figer. Nous demeurons lucides. La fiction ne s’ouvre que pour être constamment dénoncée. En somme, il y a dans mon travail, une ligne qui va toujours de la fiction au réel et du réel à la lucidité.

Je vous cite reprenant l’une des phrases de Kader Attia : « l’Algérie coloniale a été le laboratoire des banlieues en France ». Qu’avez-vous appris en vous attelant à l’écriture de Et le cœur qui fume avec Alice Carré et en la mettant en scène ?
Il est important de comprendre que lorsque les Algériens et Algériennes arrivent en France dans les années 1930, ou après l’indépendance de l’Algérie, ou pour fuir le régime de Abdelaziz Bouteflika, ou encore la décennie noire (ou guerre civile algérienne), ils pensent qu’ils retourneront un jour en Algérie. Paradoxalement, dans les années 1970, les enfants grandissent dans le mythe du retour avec l’injonction parentale de ne pas parler arabe afin de s’intégrer. Pour l’historien Mohamed Harbi, c’est La Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983 qui signe définitivement la fin du mythe du retour en France. Très logiquement, les enfants se disent alors : nous sommes nés en France. Nous sommes Français. Ce qui va de facto poser la question cruciale et jusque-là impensée : comment intègre-t-on les populations issues de l’immigration en grande partie ouvrières qui peuplent les grands ensembles de quartiers populaires à la périphérie des villes ? Ma prochaine création 1983 traitera en 2022 de cette question ainsi que des conséquences durables de la décolonisation du Maghreb - Algérie, Tunisie, Maroc - sur la France d’aujourd’hui. Je ne sais pas encore si elle constituera un volet 3 !?

Propos recueillis par Sylvia Botella