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The power (of) the fragile

  • Danse

Le 12.11.2021 à 19hFriche la Belle de Mai, Marseille

Mohamed Toukabri

En Pratique

  • Friche la Belle de Mai, Marseille

Petit Plateau

Durée : 1h20

Concept et chorégraphie Mohamed Toukabri
Performance Mimouna (Latifa) Khamessi & Mohamed Toukabri
Dramaturgie Diane Fourdrignier, Direction technique & scénographie Lies Van Loock,
Conseil artisqtique & son Annalena Fröhlich
Costumes Ellada Damianou,
Recherche & développement Eva Blaute Constant Vandercam,
Remerciements Estelle Baldé, Radouan Mriziga, Rim Toukabri, Bachir Toukabri, Sofian Ouissi, Julia Reist, Maria-Carmela Mini, Synda Jebali, Yasmin Dammak, Elise Cnockaert and Liz Kinoshita
Production Caravan Production Coproduction Needcompany, Vooruit, Beursschouwburg, Dansens Hus Oslo Résidence:Cultuurcentrum De Factorij, Needcompany, Vooruit, Charleroi Danse, Avec le soutien The Flemish Authorities and the Flemish Community Commission

Avec le soutien de l’Onda - Office national de diffusion artistique

Présentation

Dire la fragilité, la dérouler, la déployer telle une danse, voilà ce que propose le chorégraphe Mohamed Toukabri en conviant sa mère sur scène. The power of the fragile joue du genre, de la filiation, du poids du corps et des échelles. Il nous propose un cheminement intime au coeur d’un paysage sonore en constant mouvement pour élargir les horizons. Faire de la danse le lieu de la puissance de la fragilité.

Dans votre seconde création The power (of) the fragile, vous invitez votre mère à danser avec vous.
Jeune, dans les années 1970, ma mère rêvait de devenir danseuse. Mais c’était impossible, non pas pour des raisons culturelles ou religieuses mais pour des raisons familiales. Son père était un homme de pouvoir. Il travaillait avec le président tunisien Habib Bourguiba. Pour lui, la danse n’était pas une profession. J’ai réalisé le rêve de ma mère en devenant danseur et chorégraphe. Cela fait 14 ans que la danse me tient loin de Tunis et de ma famille. Aujourd’hui, créer The power (of) the fragile avec ma mère, c’est revenir à mes racines. Et redonner ce que j’ai reçu à ceux et celles qui ont sacrifié leurs rêves pour que les miens puissent se réaliser : ma mère, mes grands-parents.

Pourquoi avoir autant attendu pour danser avec votre mère ?
Cela fait plusieurs années que ma mère me demande de danser avec elle. J’en ai ressenti l’urgence, le jour où j’ai acquis la nationalité belge. Recevoir le passeport rouge m’a délesté du point du visa. Aujourd’hui, je peux voyager où je veux. C’est un privilège que certains de mes ami.es n’ont pas. C’est un privilège que ma mère n’a pas. Danser avec elle, revient non seulement à interroger ce privilège avec elle mais aussi à le partager avec elle. La danse permet de dépasser les frontières physiques, et outrepasser les frontières mentales. C’est ce que peut la danse.

Osez être fragile, c’est osez s’exposer. C’est prendre le risque d’être meurtri. C’est oser se montrer à soi-même et aux autres dans sa fragilité. C’est aussi la grandeur, celle d’être vivant. Comment trouvez-vous l’équilibre entre la puissance et la fragilité ?
Selon le titre de la pièce The power (of) the fragile, j’y mets une ambition : à partir d’une fragilité ordinaire, quelque chose se recompose, la puissance physique de ma mère, aussi étonnante, qu’immense, splendide. La présence de ma mère n’est pas une citation. Elle s’empare ici de son inexpérience pour en faire une expérimentation esthétique qui passe par le corps et la voix. La langue arabe tunisienne de ma mère où s’égarent quelques mots de français, s’étire poétiquement. Ce qu’elle dit déborde le plateau politiquement. Son enfance, la question des femmes non éduquées, son voyage en Italie dans les années 1970, mon départ de Tunis agissent comme des points de montage entre l’intime et l’universel. Comme des changements d’angle, ils produisent des variations dans ma danse où se juxtaposent la géométrie héritée de P.A.R.T.S, le motif de la pièce et le hip-hop. Aussi déconcertant que cela puisse paraître, ma mère, c’est un pivot. Nous sommes engagés à l’identique dans la pièce. Si cela est possible, c’est parce que j’ai trouvé des stratégies de renversement du pouvoir, à la fois littérales et symboliques. C’est parce que mon corps est au travail et cherche l’abandon. Par exemple, c’est parce que je m’abandonne dans les bras de ma mère que se construit sa puissance ; puissance qui renvoie instantanément à une autre forme de puissance que celle de la virilité.

Il y a effectivement une tension entre la maîtrise et l’abandon. Là surgit précisément une intimité mère-fils bouleversante.
Ce « nous » qui se dessine dans la promiscuité de nos corps mère et fils est une surprise pour les spectateurs. Certains sont embarrassés par le caractère fusionnel de certains gestes : le visage du fils contre le visage de la mère ou la main du fils posée sur la poitrine maternelle. Car dans nos sociétés, les garçons en grandissant s’éloignent du corps de leur mère qui devient d’une certaine manière « sexué ». Soudainement, le corps de la femme apparaît. Au contraire, d’autres y voient la possibilité de réinterroger leur relation à leur mère. Qu’est-ce qu’on a oublié de sa relation à sa mère ? Qu’est-ce qu’on a oublié de soi en tant que fils ? La danse fait revenir brutalement l’enfance dans sa vie d’adulte. Elle signe métaphoriquement le retour à la matrice maternelle. Si on va plus loin, peut-être que The power (of) the fragile est inconsciemment un raccourci fulgurant à la figure de l’immigré. Après tout le nouveau-né n’est-il pas lui aussi un déplacé ?

Dans The power (of) the fragile, il y a effectivement un passage par la naissance : le fils fait naître sa mère à la danse.
Absolument. Autrement dit, alors que la mère incorpore son fils à la vie, dans The power (of) the fragile, le fils incorpore sa mère à la danse, en prenant soin de la laisser toujours libre.

Propos recueillis par Sylvia Botella