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Augures

  • Théâtre

Le 16.11.2021 à 19hFriche la Belle de Mai, Marseille

Chrystèle Khodr

En Pratique

  • Friche la Belle de Mai, Marseille

Salle Seita

Durée : 1h15

Conception, texte et mise en scène Chrystèle Khodr
Actrices Hanane-Hajj, Randa Asmar
lumières et direction technique Nadim Deaibes
Paysage sonore Nasri Sayegh
Assistant à la mise en scène Jean -Claude Boulos
costumes Good.Kill
Avec le soutien de l’Onda - Office national de diffusion artistique

Présentation

On les reconnait tout de suite : Hanane Hajj Ali et Randa Asmar ; femmes devenues actrices en pleine guerre civile du Liban. Le théâtre libanais est là tout de suite. C’est dans la compléxité de leur mémoire,leit motiv de la pièce Augures, que le théâtre se trouve ; dans une noria d’histoires emboitées, 1981 - 1991 et, Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest, la scène et la guerre produisent du paysage et du réel. Par réajustements constants des points de vue, Chrystèle Khodr rend perceptible la puissance du geste théâtral : le possible accès à l’Histoire du théâtre libanais et à Beyrouth.

Dans Augures, vous soulignez la puissance du « voir théâtral », en tant que possible accessibilité à l’Histoire du théâtre libanais, celle des années 1980-1990, et aussi à Beyrouth. Qu’est-ce que le théâtre nous apprend précisément ?
Beaucoup de temps s’est écoulé entre le moment où j’ai commencé à écrire Augures en 2018 et aujourd’hui. J’ai été rattrapée par la révolution en octobre 2019, la crise sanitaire en mars 2020 et l’explosion du port de Beyrouth en août 2020. Je désirais revenir sur le destin de Hanane Hajj Ali et Randa Asmar, devenues actrices à la fin des années 1970, avant que je naisse en 1983. Comment est-ce qu’elles ont pu continuer de jouer, en pleine guerre civile (ndlr : guerre du Liban, 1975-1990), alors que Beyrouth était divisée en Beyrouth-Ouest et Beyrouth-Est ? Au fur et à mesure du travail, je me suis rendue compte que le Liban vivait des catastrophes à répétition. Que toutes les générations confondues de Libanais et Libanaises revivaient les mêmes catastrophes. Ce qui subsiste, c’est notre métier. Augures m’a appris la résistance. Quotidiennement, je résiste, en répétant au théâtre et partageant notre histoire, ailleurs. Je fais en sorte de garder le sourire dans une ville obscure, au sens propre comme au figuré : l’inflation galopante, les pénuries, les coupures d’électricité à répétition. Nous continuons de nous rassembler autour de notre pratique artistique. Nous continuons de travailler. C’est notre résistance. Au Liban, il n’y a pas de politique culturelle. Les artistes sont à la marge. Lorsque nous avons créé Augures après la première vague de confinement, au Liban, je ne m’attendais pas à ce que les trois dates du spectacle affichent « complet ». La résistance, c’est aussi celle du public.

Augures, c’est penser le théâtre comme imaginaire commun, est-ce une manière en tant qu’artiste de réparer l’histoire ?
Le théâtre n’a pas cette puissance. Il ne peut pas réparer l’histoire d’un pays meurtri par une guerre civile réglée par une loi d’amnistie pour les crimes commis en 1991, qui a fait de nos gouvernants, des seigneurs de guerre. Les puissants agissent aujourd’hui en toute impunité. Ce que je fais dans Augures, c’est isoler tel et tel fragment, les rassembler et y reconnaître un imaginaire collectif. C’est le principe de cette Histoire retrouvée : dans la vie d’actrice de Hanane Hajj Ali et Randa Asmar, ont été prélevées des « images », des souvenirs, afin de suivre à la trace l’Histoire du théâtre, l’Histoire de Beyrouth, et comprendre l’Histoire libanaise tout court. La capacité du théâtre de nous donner le monde me fascine. Lorsque je suis en tournée, c’est à travers les théâtres et les personnes qui y travaillent que je prends le pouls des villes que je traverse. Il ne faut pas croire que Augures est une pièce tragique. Au contraire, c’est une pièce très drôle. Les actrices y sont à la fois touchantes et puissantes. Elles sont des divas.

Justement, qu’est-ce que Augures nous dit de vous en tant que femme, artiste  ?
Augures pose un regard féminin sur la guerre. Au théâtre, Hanane Hajj Ali et Randa Asmar ont le souci du réel. Ce qui n’est pas mon cas. Nous avons donc creusé, cherché, questionné ensemble. Au fil du temps, nous avons tissé une vraie relation d’échange, de confiance. Elles ont été très généreuses avec moi. Contrairement à mon histoire personnelle, la figure du père est très présente dans leurs histoires  : le père fou de rage à l’idée que sa fille devienne actrice, le père/homme de théâtre avec qui elles ont travaillé. Mais je peux avancer ceci : Hanane Hajj Ali et Randa Asmar sont deux femmes puissantes. Elles ont toujours fait ce qu’elles ont voulu ! Chacune à leur manière, elles ont impacté durablement mon parcours d’artiste. Plus jeune, j’étais très impressionnée par la beauté fatale de Randa Asmar dans les séries TV. Durant ma formation, je me rendais souvent dans le théâtre que Hanane Hajj Ali a fondé avec le metteur en scène et comédien Roger Assaf. Je me souviens qu’elle connaissait le nom de chaque étudiant, étudiante. Si je fais ce métier aujourd’hui, c’est parce qu’elles ont posé des choix déterminants. Elles m’ont ouvert la voie.

Est-ce que vous considérez appartenir à leur lignée de femmes ?
J’aimerais un jour, être aussi généreuse qu’elles le sont. Si cela arrive, alors je serai de leur lignée. Sans amour, ni générosité, il n’y a pas de théâtre.

Qu’est-ce qui vous fait tenir, aujourd’hui au Liban ?
Nous sommes tellement peu nombreux ! Si nous existons en tant qu’artistes, c’est parce que nous avons beaucoup travaillé. Si nous sommes à ce point engagés dans nos métiers et par à rapport à la société, c’est parce qu’il existe des liens d’amitié, des solidarités très fortes entre nous. Sans l’amitié, je ne serai pas là.

Quelle est cette expérience artistique que vous souhaitez partager avec les publics.
Dans Augures, j’ai fait le choix de revenir à l’essence même du théâtre : raconté une histoire. Tout passe par le corps et la voix des deux actrices. Elles bougent, se transforment. C’est là que naît précisément l’émotion.

Propos recueillis par Sylvia Botella