Lionelle Edoxi Gnoula
Éléments de conversation retranscrits par Arthur Eskenazi
Dans une ruelle de Ouagadougou, nous poussons la porte discrète d’un maquis, ce lieu populaire de restauration à toute heure où l’on peut manger et boire, ouvert du matin jusque tard dans la nuit. C’est aussi un lieu privilégié de débats envenimés sur l’actualité du pays et de la politique en général. Attablés, deux hommes ne sont d’ailleurs plus très loin d’en venir aux mains, sous l’œil embrumé d’un troisième, silencieux, observant la scène d’un air perplexe. Attablée dans un coin, l’oreille tendue, Lionelle Edoxi Gnoula tente de se concentrer sur un carnet qu’elle griffonne, rature, reprend sans cesse.
Voilà le décor que pose la comédienne burkinabè pour LEGS « suite », seule en scène équilibriste dans lequel elle fait vivre un maquis, ses clients et ses vendeurs ambulants.
« J’ai commencé le théâtre à l’école, avec mon professeur de français qui avait une troupe à Ouagadougou. Il avait remarqué que j’étais une petite fille turbulente. D’une certaine manière j’ai été repérée comme ça. Il écrivait des petits sketchs et à la fin de l’année, il m’en avait fait jouer. Il m’a ensuite proposé de rejoindre sa troupe à Ouagadougou où il savait que j’avais de la famille. Moi, je ne savais même pas que comédienne c’était un métier, je ne connaissais rien au théâtre, tout ça me semblait loin et je n’y suis pas allée ».
Edoxi arrête ses études au lycée et croise par hasard son professeur dans la rue qui insiste : « Je n’avais plus vraiment de raison de refuser, j’ai rejoint sa compagnie à Ouagadougou. Je jouais sans savoir que j’étais en train de construire un métier. Je me souviens qu’on a fait un spectacle qui a remporté le quatrième prix d’un con-cours et donc il y a eu de l’argent. On m’a mis dans la main 7500FCA (15€) et c’était la première fois que j’avais une telle somme ! Je me suis dit : Wooow ! Si on peut même gagner un peu sa vie avec ça, je vais me concentrer sur le théâtre. Donc c’est parti de là et je suis restée dans la compagnie pendant quatre ans ».
Elle intègre plus tard le Théâtre de la Fraternité, toute première troupe du Burkina Faso avec laquelle elle voyage à travers le monde. Elle achève de se former auprès de metteur.ses en scène internationaux.lles avant de créer sa propre compagnie Désir Collectif en 2009.
« Je voulais être libre de faire ce que je voulais et je sentais que j’avais des choses à sortir. C’est comme ça qu’a commencée mon aventure seule en scène ».
Car ce n’est pas seulement un métier que Lionelle Edoxi Gnoula a trouvé : « En faisant du théâtre avec mon professeur de français, j’ai découvert quelque chose de formidable : une écoute, un esprit d’entraide, de la bienveillance, une famille. Ça m’a profondément touchée parce que ça venait répondre à une quête que je commençais tout juste à formuler. Combler le vide, un manque, celui de mon père qui m’a abandonnée quand j’étais petite. Il y avait beaucoup d’hommes dans l’équipe, j’ai trouvé des modèles masculins et la compagnie, son esprit d’équipe sont devenus une sorte de repère de père. »
La comédienne se met alors à écrire, pour elle-même d’abord, avec une forme d’urgence, sans trop y réfléchir. C’est la rencontre avec un metteur en scène, Philippe Laurent, dans le cadre d’un atelier autour de la carte d’identité, mais aussi le départ du dictateur Blaise Compaoré l’année suivante qui sont décisifs.
« En 2014, l’insurrection populaire au Burkina a mis en fuite Blaise Compaoré. J’étais en Suisse et j’ai suivi ça de loin mais ça a libéré quelque chose en moi. J’ai écrit LEGS en trois semaines. »
LEGS « suite » poursuit donc une recherche autobiogra-phique débutée à cette époque. Dans ce maquis, en plus des clients qui vont et viennent, des mouches qui volent, de sa propre mère ou de son professeur de français qu’elle interprète, in-carné.e.s par une écriture férocement humoristique, quatre personnages nous retiennent: « Deux s’écharpent dans un combat politique contradictoire. L’un est nostalgique de Sankara, l’autre de Compaoré. Ils se chamaillent, s’opposent, se cassent la gueule. Il y a aussi celui qui, au bout du bar, n’est là que pour tout écouter. Il n’a pas d’argent, on lui offre des verres pour qu’il écoute. Et puis tout vient se retourner sur moi, mon personnage resté dans son coin, en prise avec ses questions sur un père qui n’a pas voulu d’elle, sur ces quatre frères et soeurs qui ont toutes et tous un père différent et sur sa mère qui les a élevé.e.s seule. »
LEGS « suite » part à la recherche des pères de famille tout autant que les pères de la nation, mais n’en est pas moins un hommage à la figure maternelle.
« Ma mère a entretenu l’espoir pour ses enfants. Elle mettait de l’eau à bouillir en nous faisant croire qu’elle préparait à dîner jusqu’à ce qu’on s’endorme. Et je la regarde depuis aujourd’hui comme une héroïne qui trouvait des stra-tagèmes pour que nous n’allions pas mendier. Elle a été extrêmement courageuse pour affronter la société et les regards. Elle a été traitée de tous les noms et ne s’est jamais apitoyée. Je ne l’ai jamais vu pleurer, elle a tout assumé. Dans cette pièce, je lui rends hommage à elle et à toutes les autres, si nombreuses. »
Vous ne ferez pas dire à Lionelle Edoxi Gnoula qu’elle est féministe : « Moi, dans mes langues, ce mot n’existe tout simplement pas, donc je n’arrive pas à le faire mien. Je sais que ce combat existe et j’entends le mener, mais je ne peux me revendiquer d’un mot qui ne m’appartient pas. Je préfère le traduire dans une pratique, celle du théâtre, qui paradoxalement utilise beaucoup de mots ! Ces combats sont universels et détachés de la manière dont les questions se posent à certains endroits du monde. »
LEGS « suite » est un jeu de transposition : retrouver le père et une famille unie dans la compagnie, la mère dans toutes les mères, le courage et une forme de féminisme au cœur du théâtre.